Extrait :
DE XIENG-SEN A LUANG-PRABANG
Xieng-Sen, sur l’emplacement d’une ancienne capitale détruite dont les ruines sont encore de tous côtés dans la plaine et sur les collines, était alors un pauvre petit village.
A quelque distance en remontant le fleuve, se trouve le bac de Xieng-Lap où les caravanes de mules venant du Yunnan, allant au Laos et en Basse-Birmanie, passent le Mékhong. Il était à cette époque affermé, 4 500 francs, ce qui supposait un mouvement de 18 000 mules, ces bêtes étant taxées chacune 0 fr. 25 et les conducteurs ne payant rien.
A cette époque des basses eaux (février), la course de Xieng-Sen à Luang-Prabang demande une dizaine de jours, Dans les biefs, le fleuve coule paisible sur une grande largeur entre des berges hautes, de 25 à 30 mètres que garnissent par endroits des groupes de cases, mais le plus souvent, son lit rétréci entre des rochers forme des obstacles, rapides et tourbillons, avec lesquels les bateliers laotiens, remarquablement habiles, sont familiarisés depuis l’adolescence.
Sur le parcours, Xieng-Kong est le seul centre un peu important ; en face du village, sur la rive gauche, on recueillait, depuis quelques années, des saphirs dans un terrain alluvionnaire qui borde le fleuve.
Le débouché de chaque vallée est marqué par des petits marchés installés annuellement pendant la saison sèche, par des habitants de Luang-Prabang, et qui attirent les montagnards et les riverains de l’intérieur.
Aux confluents de plusieurs torrents, sur les deux rives et dans des îlots rocheux, entre XiengKong et le petit village de Pak-Beng, des chercheurs d’or, pour la plupart des Khas Moucks, examinaient les sables aurifères dans lesquels ils ramassaient généralement chacun un demigramme par jour du précieux métal.
A Pak-Ta, embouchure d’une belle rivière, je quittai mes pirogues pour m’embarquer sur des radeaux spécialement arrangés pour la descente du fleuve, particulièrement dangereuse à partir de ce point. Ils étaient formés de deux pirogues jumelées, réunies et soutenues par de gros faisceaux de bambous ; garnis d’un clayonnage en guise de plancher, et recouverts d’une toiture en paillotte quelquefois élégante ; ils étaient très habitables.
J’arrivai à Luang-Prabang le 10 février 1887.
Les cases s’étendaient un kilomètre sur la rive droite du fleuve et trois sur la rive gauche. Au bord de l’eau, très basse, des filets pour la pêche de l’énorme poisson pla boeuk étaient suspendus à de grands séchoirs.
Unique ville, dans le sens du mot, des bords du grand fleuve au Laos, sa population était alors estimée à 15 000 habitants. Elle tient son importance d’une situation privilégiée au-dessous des confluents de trois gros cours d’eau, le Nam-Hou, le Nam-Seuang, et le Nam-Khane, par lesquels les divers produits de l’intérieur lui arrivent sur des radeaux de bambous qui, tels qu’ils sont construits, ne pourraient sans danger se risquer au-delà.
Je voyageais alors depuis six jours, de conserve avec le fonctionnaire siamois qui m’avait devancé à Xieng-Maï et qui, après avoir fait son installation à Luang-Prabang, était venu audevant de moi. Il s’était présenté comme topographe venant des frontières de Chine et me rencontrant par hasard. J’avais feint de le croire. Sur la berge, à Luang-Prabang, il avait décliné son nom et son titre de commissaire, et m’avait fait connaître qu’il était chargé par son gouvernement de m’assister dans les rapports avec les autorités du pays.
II
LAOS ORIENTAL
A. PAVIE
10 février au 14 octobre 1887
A. Luang-Prabang, j’avais beaucoup à apprendre sur le pays et les régions étendues au nord et à l’ouest entre lui et le Tonkin. Cette principauté, aujourd’hui partie intégrante de notre colonie d’Indo-Chine et qui était, depuis les temps anciens, tributaire de la Chine et de l’Annam, avait pour régime politique le système féodal de la plupart des États où le bouddhisme pur est observé, un vieux roi en était le chef, et le commandant de la troupe siamoise qui venait d’entrer en scène représentait auprès de lui le gouvernement de Bangkok.
Depuis une trentaine d’années, par suite de l’insécurité des routes, les relations y étaient interrompues avec la Chine et l’Annam. Notre état de guerre avec ces derniers pays, avait singulièrement entravé nos recherches sur le Laos. 11 n’y avait par ailleurs, pas à songer à obtenir des renseignements utiles des fonctionnaires siamois ni des autorités laotiennes ; les premiers qui occupaient les régions contestées pour le compte de leur gouvernement ne voulaient pas, en me servant, rendre leur tâche plus difficile : quant aux secondes, elles avaient de ceux-ci des recommandations si précises de discrétion avec moi que j’avais compris, dès en entrant au Laos, que je devrais, pour le moment, me contenter de travailler à l’étude géographique du pays et à me faire connaître des populations en observant les événements.
Quelques jours après une première visite au roi, je me rendis avec mon personnel sur des chevaux que le vieux souverain laotien avait mis à ma disposition, à l’endroit, sur les bords du
Nam-Khane, où reposait la dépouille d’Henri Mouhot. De la tombe érigée par le Dr Néïs quatre ans auparavant, il restait à peine trace. Je m’entendis alors avec les gens du village voisin, Ban Peunom, où le premier explorateur du Laos avait succombé, pour qu’un petit monument durable fût élevé sur cet emplacement et pour qu’on l’entretînt.
Un peu plus tard, le commissaire siamois, répondant à mon désir d’aller examiner les voies conduisant du Mékhong au Tonkin, m’annonça que le chef des troupes ayant achevé l’organisation des vastes territoires qu’il avait conquis ou pacifiés, revenait à Luang-Prabang avec ses soldats qu’il ramènerait ensuite à Bangkok, et, que pendant son séjour dans la capitale laotienne, il arrangerait avec moi la question du voyage à travers les pays d’où il descendait.
Vers ce temps, j’appris qu’en ville, on racontait tout bas, en se montrant très inquiet des conséquences possibles de l’événement : le passage en barque, devant Luang-Prabang, de quatre jeunes gens, enchaînés, enlevés par le chef siamois dans un canton du nord et dirigés par son ordre sur Bangkok.
Le 12 mars, cet officier, connu plus tard sous le titre de Phya Surrissak, faisait une entrée solennelle à Luang-Prabang dont les rues avaient été décorées et où des arcs-de triomphe, en bambous et carton, avaient été élevés par les soins des autorités siamoises. Une trentaine de chefs des pays parcourus par ses troupes, ainsi que plusieurs chefs de Pavillons noirs et de Pavillons jaunes, que l’on confondait dans le pays, sous le nom de Hôs, avec les Chinois du Yunnan, étaient dans son cortège et devaient le suivre à Bangkok.
Mon départ fut fixé au 30 du même mois. Je devais remonter le Nam-Hou. puis son affluent le Nam Ngoua, jusqu’à Muong Theng2 ; là, je prendrais la voie de terre vers Takhoa et la RivièreNoire, d’où je descendrais à Hanoï. Un jeune officier siamois devait m’accompagner jusqu’à la rencontre du premier chef Pavillon noir, à qui avait été offert un titre siamois, et pour qui il aurait une lettre du chef des troupes, me recommandant.
Le chef siamois me prévint par ailleurs qu’il avait favorisé la fuite, à travers le Laos, de l’ancien régent du royaume d’Annam, Thuyet, qui se trouvait actuellement dans le pays de Muong-Laï3, et que je devrais prendre garde à cet ennemi des Français.
Ngin allait m’accompagner avec la moitié des Cambodgiens ; Som et les autres garderaient, en mon absence, mon installation provisoire à Luang-Prabang.
Pendant mon séjour, j’avais recueilli six inscriptions anciennes dans les temples de la ville.
Auteur : Pavie, Auguste (1847-1925)